Au matin, les pirates s’étaient tous endormis, ivres morts. Les liens qui entravaient les prisonniers avaient été fortement serrés et hommes et animaux se débattaient en vain. Tout à coup le cuisinier eut une idée. Il avait gardé un petit couteau de cuisine dans la poche arrière de son pantalon et il indiqua par mimiques à l’éléphant comment prendre le couteau. Celui-ci comprit vite et eut tôt fait d’extraire l’objet. Ce fut un jeu d’éléphanteau de couper les liens du cuisinier qui libéra à son tour les autres prisonniers.
Il fallait à présent s’échapper sans attirer l’attention des pirates.
En fait, ils auraient pu faire exploser des pétards à côté d’eux que les pirates ne se seraient pas réveillés ! Une cote se profilait à l’horizon et ils décidèrent de prendre le bateau des bandits pour la rejoindre. Aussitôt dit aussitôt fait et ils cinglèrent vers la terre. Ils n’avaient aucune idée de l’endroit où ils allaient débarquer mais tout valait mieux que cette bande d’assassins…
L’accostage se fit sans problème mais ils déchantèrent en voyant le paysage…
Le Désert.
La troupe de rescapés se composait de nos deux amis, du capitaine, du cuisinier et d’un mousse pas très déluré. Juchés sur le dos de l’éléphant et Polon nageant à côté, ils avaient laissé le bateau en deçà d’une barrière de récifs et avaient pris pied sur la plage désertique. Le cuisinier avait pris soin de prendre à boire et à manger dans un grand sac mais personne n’avait pensé à se munir d’une boussole. Ils se mirent en route toujours assis sur le dos de Babou que les hommes commençaient à respecter grandement. Il avait été leur sauveur sur le bateau et il était leur véhicule à présent.
Les heures passaient et le soleil tapait terriblement. On avait mis un gros morceau de tissu sur la tête de Polon car c’était celui qui semblait le plus souffrir de la chaleur. Il ressemblait à un maharadjah mais personne ne pensait à en rire tant la fournaise était infernale. Tout à coup, le mousse qui était le premier assis derrière les oreilles du pachyderme poussa un cri en désignant le lointain.
- Une caravane ! Ce n’est pas un mirage, je vous dis, c’est une caravane !
Les autres se rangèrent à son avis. Il s’agissait bien d’une caravane de chameaux qui avançait doucement à cinq cent mètres de là. Ce fut alors un concert d’appels, de gesticulations et de rires de soulagement. Bientôt, il furent entourés de Berbères farouches qui étaient étonnés de pareille compagnie dans le désert. L’un d’eux parlait le français et les voyageurs purent raconter leurs déboires aux méharistes stupéfaits. Pendant que les humains s’expliquaient, nos deux aventuriers s’étaient approchés des chameaux et les contemplaient d’un regard curieux.
- Dis-donc, dis Polon, le roi n’est pas leur cousin à ceux-là !
- Ce sont des chameaux, lui expliqua Babou, il y en avait au zoo où j’étais prisonnier, ils ont un air fier mais ce n’est qu’une apparence, ils sont gentils. Je ne pense pas qu’on puisse en tirer quelque chose, ils ne parlent pas le groink ni l’éléphant. (Babou était très fier d’avoir appris des rudiments d’éléphant avec Djumbo, pendant leur court passage au cirque)
- Erreur, jeune phant ! laissa tomber dédaigneusement l’un des chameaux, je parle ta langue mieux que toi. Notre maître, le cheik Abdul El Affar, possède deux éléphants avec lesquels j’aime à deviser parfois. Et des cochons aussi, maître Polon, et je connais aussi leur langue bien qu’elle m’écorche un peu les oreilles, pouah ! tous ces grionk, rumpf , et autres grognements …
Vexé, le cochon leur tourna délibérément le dos et tout le monde se mit à rire, tant il avait l’air cocasse avec son turban sur la tête et sa mine renfrognée.
Tout le monde en profita pour se restaurer et la caravane reprit son chemin, les guides pensaient arriver à destination dans la soirée. Les chameaux s’avéraient des compagnons joyeux. Leurs rares paroles (ils sont sobres aussi en paroles ) étaient souvent des plaisanteries ou ils se lançaient des devinettes dont les réponses les faisaient tressauter de rires, ce qui faisait dire aux humains qu’ils étaient encore capricieux, aujourd’hui. Chemin faisant, Ali le chameau leur décrivit le palais qui était la destination finale de leur voyage. Babou contemplait le paysage en se demandant où on pourrait bien caser un palais dans un endroit pareil !