L’éléphant et les pirates

Le voyage jusqu’à la mer dura presque un mois. Il fallait éviter les villes car un couple pareil aurait été vite arrêté et mis en cage ( bien sûr, pour son bien !). Nos deux héros faisaient montre de mille ingéniosités pour échapper aux regards et à la curiosité des humains. L’éléphant, qui savait ne pas bouger pendant des heures, se plaquait contre une paroi rocheuse de la même couleur que sa robe et, à moins de s’approcher très près, il était impossible à un œil non averti de le distinguer de la roche. La tâche était plus aisée pour Polon, il lui suffisait de s’enfouir dans le sol qui était meuble à cette époque de l’année.

Le cochon avait choisi un port pas trop important, proche de la frontière espagnole, pour y chercher un bateau qui voudrait bien  leur faire traverser la méditerranée. L a chance semblait être avec eux car ils découvrirent un petit cirque campant aux abords de la petite ville portuaire.

Il y avait là un vieil éléphant à l’œil rusé, à l’oreille  mitée, à la peau craquelée mais à la mine débonnaire. Les deux voyageurs eurent tôt fait de se mêler à la troupe tenue par un directeur de cirque qui en avait vu d’autres… Ils apprirent ainsi que la troupe s’embarquait pour l’Afrique la semaine suivante. Il n’y avait hélas, pas de place à bord pour eux mais le directeur connaissait un patron de navire qui voudrait certainement les prendre à bord s’ils payaient, bien sûr ! Nos deux aventuriers ne manquaient pas de ressources. Ils mirent vite au point un numéro qu’ils présentèrent au directeur qui fut conquis et qui les engagea pour la semaine restante. Ils avaient trouvé l’argent de leur passage en Afrique.

La journée, ils allaient contempler le bateau qui allait les transporter. Ni l’un ni l’autre n’étaient montés sur un navire auparavant et leur appréhension  était grande.

Le jour du départ arriva enfin. Ils firent leurs adieux à la troupe, non sans tristesse car ils avaient trouvé là une compagnie généreuse bien que pauvre, joyeuse bien que chargée des multiples problèmes des gens du voyage. Djumbo, le vieil éléphant leur indiqua quelques adresses utiles en Afrique et Pozo le singe qui leur avait enseigné à lire une carte, leur fit don d’une carte où le directeur du cirque avait tracé un itinéraire. Ca et plusieurs autres cadeaux de la troupe allèrent dans un sac que Babou porta autour du cou.

Ils étaient les seuls passagers à bord. Le capitaine était grand et sec avec un long cou au goitre imposant. Polon, qui avait de l’humour, suggéra que c’était cela un « capitaine au long cou » tout en s’inquiétant un peu du regard de connaisseur du cuisinier qui s’imaginait déjà en train d’en faire du jambon et autres boudins… Il se tenait le plus loin possible de la cuisine et évitait soigneusement de croiser le chemin du maître-coq.

Ils  étaient à la deuxième nuit de voyage quand retentit sur le pont un tintamarre assourdissant. Des cris, des injonctions fusaient de toutes parts. Il y avait des coups de feu, des chocs, des injures. La porte de leur cabine fut forcée et deux grands gaillards firent irruption dans la chambre et poussèrent nos amis sur le pont. Le chef de la bande de pirates les regarda d’un air perplexe et décida enfin qu’il vendrait l’éléphant avec l’équipage au marchand d’esclaves  et mangerait le cochon à leur débarquement. Tous les prisonniers, hommes et animaux furent entravés et jetés à fond de cale. Le reste de la nuit, les pirates la passèrent à boire et à chanter des chansons aux terribles couplets où il était question de couper des gorges, de voler des bourses et de ne pas faire de quartier…

Évidemment, nul parmi les prisonniers ne put dormir et tous se lamentaient de leur pauvre sort.

À SUIVRE dans « Un tour de chameau »