Le petit lièvre qui aimait courir

Malika, avait eu une portée de huit petits lièvres à la fin du printemps. Elle était heureuse qu’ils soient tous en bonne santé et durant l’été, elle s’appliquait à leur apprendre les rudiments de la vie. Les dangers sont multiples dans la nature pour les rongeurs. Ils sont la proie facile de tous les prédateurs. Ainsi, était-elle très sévère sur l’éducation de sa portée. Son père, le vieux Bagota l’aidait en leur enseignant les choses spirituelles car comme tous les enfants, les petits lièvres posaient des multiples questions sur leur condition de lapin, la vie des autres espèces, sur la mort et sur la raison de toutes choses et le brave ancêtre ne s’en sortait pas trop mal car il avait été le plus téméraire de sa portée et avait même voyagé plus loin que tous les lièvres de la région.

Il y avait quatre mâles et quatre femelles. Déjà les caractères s’affirmaient.

Les petites hases étaient plutôt timides et l’une d’entre elles était remarquablement coquette. Elle passait plus de temps à faire sa toilette qu’à réviser ses devoirs ! Une autre avait déjà l’instinct maternel et une autre encore accomplissait volontiers les tâches ménagères. Chez les mâles, il y en avait deux très forts, prompts à la bagarre mais joyeux compagnons de jeux. Le troisième avait des prédispositions pour les études et l’on aurait pu l’imaginer parfaitement portant lunettes et toge de docteur es lettres.

Le quatrième aimait courir. Il était d’aspect assez banal, pas tellement fort, pas tellement beau, une conversation très limitée et une indifférence marquée pour les études. Ce qui, on s’en doute bien, désespérait Malika. Bagota réservait son jugement, intrigué par cette passion si précoce. Ce petit lièvre qui aimait courir s’appelait Larédian mais tout le monde le nomma vite Coursefol. Ses frères et sœurs le tenaient un peu à l’écart et le reste de la communauté le regardait avec méfiance car, visiblement ce lapereau courant tout le temps n’était pas normal et les communautés n’aiment pas ce qui n’est pas « normal ». Larédian s’en rendait parfaitement compte et il en souffrait car il était d’une âme sensible et ne voulait pas faire de mal aux autres mais le besoin impérieux de courir était le plus fort. Jour après jour, il améliorait son style, sa rapidité devint étonnante. A trois mois, il était le plus véloce de la communauté. Il cherchait constamment de nouvelles façons de se déplacer. Sa passion l’entraînait parfois très loin des terres familières et il observait les autres animaux pour apprendre leur manière de courir. Il savait alterner la course en zigzag classique avec celle en ligne droite ce qui avait développé ses membres antérieurs.

 Dans le clan, les langues allaient bon train.

Coursefol devrait plutôt étudier que de courir, disaient les plus envieux.

Il va nous attirer des ennuis avec ses allées et venues dans tout le pays, clamaient les plus timorés.

Ce lapereau est source de troubles, se concertaient les anciens.

On était au début de l’automne et la forêt commençait à se parer de son manteau d’or et de pourpre. Les couples se formaient et creusaient de nouveaux gîtes pour l’hiver. Tout le monde était fiévreux et anxieux de la saison de chasse qui allait venir. Bagota et Larédian devisaient dans un bosquet proche des terres limitrophes de la communauté. Le vieux lièvre avait fini par accepter et même encourager la passion de Coursefol.

Bagota, questionna Larédian, pourquoi les autres ne m’aiment pas ? Je ne leur ai fait aucun mal. Ce n’est pas ma faute si j’aime courir.

Ce n’est pas qu’ils ne t’aiment pas, lui répondit l’ancêtre en souriant, mais ils ont peur de ta passion, et de tout ce qui est nouveau. Il faut les comprendre, leur survie dépend de règles établies pour le bien de tous et toi, tu bouscules un peu ces règles par ton attitude.

Mais ma façon de courir pourrait aussi sauver des vies s’ils me laissaient la leur enseigner. Au lieu de cela, ils me tournent le dos…

 Son désespoir était sincère car il avait un grand cœur et malgré l’ostracisme dont il était l’objet, il voulait aider la communauté.

Ne soit pas amer, lui répliqua gentiment Bagota, l’amertume ne sied pas à la jeunesse. Un jour peut-être comprendront-ils que le monde est fait de différences et que c’est là sa richesse première. Si ce que tu aimes le plus c’est courir alors continue à courir et courir jusqu’à en perdre haleine car c’est là que résident toutes les réponses à tes questions.

Et Coursefol continua à courir. Mais ce que certains avaient prévu dans leurs envieuses craintes finit par advenir. Larédian fut repéré par un traqueur. L’homme vint ainsi rôder sur les terres du clan ce qui mit celui-ci en grand émoi. Le jeune lièvre fut convoqué devant le conseil des anciens.

Tu as mis notre communauté en danger par ton insouciance et nous ne voulons pas que cela se reproduise. Tu es banni du clan et tu dois partir sur-le-champ.

Larédian, la mort dans l’âme, s’en fut et cette foi-ci, il ne courait pas mais se traînait lamentablement sur le chemin de son exil.

 Il avait parcouru deux ou trois kilomètres ne sachant trop où diriger ses pas quand retentit une déflagration semblable à un coup de tonnerre en même temps qu’il ressentit une douleur fulgurante à la patte arrière droite. Malgré tout, il se mit à courir le plus vite possible car il savait que sa vie en dépendait. Derrière lui, une galopade accompagnée d’aboiements s’était déclenchée. Allait-il être la proie de ces barbares qui le poursuivaient ? Non ! Toute la vie de son jeune et vigoureux corps refusait cette éventualité et il redoubla d’ardeur bien que sa patte le fasse atrocement souffrir. Et il gagnait du terrain ! Bientôt les jappements s’éloignèrent et il se retrouva enfin dans un bois où il trouva un trou pour se cacher. Une rumeur se fit entendre au loin puis se dissipa et il sut que ses agresseurs avaient perdu sa trace. Il restait seul dans son trou avec comme compagne, ô combien non désirée, la douleur qui irradiait maintenant toute sa patte…

Coursefol s’en remit et c’est sa passion qui l’aida le plus dans sa guérison. Il lui était insupportable de rester allongé sans courir. Une semaine après sa mésaventure, il courait déjà presque aussi vite qu’avant. Il avait adopté le trou qui l’avait hébergé le jour de son bannissement et il y revenait fourbu mais content de sentir ses forces lui revenir. A présent prévoyant, il creusa une galerie de secours au cas où un danger le prendrait au gîte. Cela le sauva encore une fois.

C’était le cœur de l’hiver. Le gel avait durci la terre et paralysé la nature. Tout était figé dans l’attente de jours meilleurs. Seuls les prédateurs rôdaient inlassablement en quête de nourriture et l’un d’eux, un jeune renard, réussit à se glisser dans le gîte de Larédian. Il en fut pour ses frais car le lièvre ayant senti le danger s’était échappé par son issue de secours trop étroite pour l’intrus.

Le coureur se retrouvait néanmoins, bel et bien sans abri. Alors, il se mit à courir. Et c’était une flèche, un éclair, un bolide dont on ne pouvait voir qu’à peine la forme tant sa vitesse était grande. Et lui n’avait jamais froid, ni faim car il fauchait la rare herbe sur son passage rapide.

Sa renommée grandit avec ses progrès en course. Animaux et humains se racontaient la légende de Coursefol que même les balles de fusil ne pouvaient rattraper. Mais le lapin solitaire s’en moquait bien, il était à présent très loin dans les terres du sud. Il apprenait, perfectionnant toujours son style, jamais content de ses résultats spectaculaires. C’était magnifique de voir la grâce de ses évolutions car il ne faisait pas que courir. Il virevoltait, pirouettait, sautait plus haut que les arbustes et les haies sur son passage. Son bonheur était immense et il ne s’en lassait jamais.

Coursefol fit le tour de la Terre ainsi et comme la Terre est ronde, il débarqua un jour au milieu de la communauté qui l’avait chassée.

Cela faisait un peu moins de deux ans qu’il était parti, l’été battait son plein. Personne apparemment ne le reconnaissait et il en fut soulagé. Il apprit bientôt qu’une réunion extraordinaire allait se tenir dans la clairière des jugements, celle-la même où sa sentence d’expulsion avait été prononcée. Il s’y rendit, passant inaperçu, au milieu de la foule des badauds. Le conseil des anciens s’était presque entièrement renouvelé, mais il avait toujours cet air sévère et sans appel qu’il connaissait que trop bien.

Deux jeunes lièvres se tenaient au centre de la clairière, les oreilles basses et la mine déconfite. Un des anciens prit la parole et Larédian le reconnut avec stupeur : C était l’un de ses frères, Permutin le savant.

Par vos courses folles, vous avez compromis la sécurité de notre communauté. La loi est formelle sur ce point et la décision sans appel, vous devez quitter le clan sur l’heure et ne plus y revenir sous peine de mort.

Ainsi, depuis son départ, la loi s’était encore durcie et cela sous l’influence de son propre frère ! Coursefol était atterré.

Il s’avança au milieu du champ et un murmure courut dans la foule. Des lapins les plus anciens le reconnaissaient et sa légende avait du grandir avec l’éloignement car un silence respectueux régna soudain sur la place. Permutin avait aussi reconnu son frère car il était rouge de confusion ou de colère et balbutiait des mots incompréhensibles.

Je suis Coursefol, pour ceux qui ne m’auraient pas reconnu et je viens contester ce jugement inique. De quel droit chassez-vous des lièvres qui aiment courir ? La course est notre meilleure arme contre nos ennemis et vous devez retrouver votre dignité en développant vos dons naturels. Le Lièvre peut être le roi des coureurs s’il le veut.

Et sur ces paroles, il bondit si vite qu’il parut à l’assemblée voir une tornade évoluer sur la place. Larédian s’arrêta près des deux condamnés et reprit :

Pour vous le prouver, je vais prendre ces deux bannis et en faire deux coursiers imbattables ! Et ils s’éloignèrent tous les trois, sous les regards de la foule sidérée et les mimiques consternées des juges.

Ainsi naquit la première école de course pour lièvres. Sa renommée atteignit les contrées les plus lointaines et de nombreux apprentis y vinrent se perfectionner et recevoir la sagesse de celui qui avait été « le petit lièvre qui aimait courir ». Jamais autre lapin ne courut aussi vite et aussi harmonieusement que lui et on raconte qu’il continue à perfectionner son style au paradis.

FIN

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